lundi 12 avril 2010

Lucco au 1er salon du livre de Cergy - Pontoise








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Les jeudi 8, vendredi 9 et samedi 10 avril 2010, la première édition du salon du livre de Cergy-Pontoise, organisé par l’association les Mots Migrateurs, a investi différents espaces de l’agglomération avec un programme de rencontres et d’animation culturelles : rencontres avec les auteurs, dédicaces, ateliers d’écriture, conférences, spectacles et lectures publiques.

Vendredi 9 avril à l’espace culturel du Carreaux de Cergy.
Lecture théâtralisée : trois lettres de Lucco interprétées par l’auteur et mise en musique par Isabelle Guyon.














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dimanche 28 juin 2009

Gouaches

Voici des gouaches faites pour soutenir et inspirer l'écriture.
L'une d'elles a servi à illustrer la couverture de "Premiere impression", recueil de textes de la série " Lettres de Lucco" publié aux éditions des Mots Migrateurs.



























dimanche 21 juin 2009

Lettres de Lucco, fictions épistolaires fantastiques et poétiques.




Les textes ci-dessous font partie d’une série de courts récits fantastiques intitulés les « lettres de Lucco », correspondance fictive produite par une étrange personnage à la fois lunaire et réfléchie qui s’ouvre à ses amis de ses expériences existentielles.
Ces textes sont faits pour être vus autant que lus.
Son auteur, Luc Hazebrouck, les conte avec une passion communicative qui nous entraîne au cœur de la poésie de l’absurde.
On est embarqué par le spectacle d’une écriture contemporaine portée par le théâtre : elle se regarde, s’écoute et se vit.


La chute

Cher ami,
J’étais, avec de nombreux touristes, en train d’admirer le paysage de la ville du haut d’une tour.
Soudainement, je n’ai plus trouvé de sol sous mes pieds et je suis tombé dans le vide.
Un vertige idiot ! Ah l’insoutenable légèreté de l’être !
Un tout petit pas de travers pour moi devint en fin de compte un grand saut dans l’inconnu.
C’est en fait dans ma propre angoisse que je suis tombé.

Voilà pourquoi, depuis plusieurs jours et plusieurs nuits, je chute. Je ne sais pas encore combien de temps cela peut durer.
Ne bondissez pas de votre chaise, ce n’est pas si terrible !
J’ai l’occasion de penser à toute mon existence antérieure, à toutes les lettres futures que je vais vous envoyer.
Sait-on jamais, peut-être vous les enverrai-je post-mortem ? Ma chute est si longue que j’ai déjà rédigé de nombreux feuillets. Attendez ! Ce ne sont encore que des brouillons, vous les lirez, quand je les aurais mis au propre.

Mais combien d’étages cet immeuble a-t-il donc ? Il me semblait que lorsqu’on chutait, ce n’était pas pour si longtemps…
Normalement une ascension est beaucoup plus longue…
Voyez Napoléon, sa chute fut beaucoup plus rapide que son ascension.
Cela me semblait être une loi assez générale … autant dans l’histoire de France que dans l’histoire de la physique…

Après tout, pourquoi s’en faire ! Je suis d’avis de prendre les choses comme elles viennent. D’ailleurs, ai-je le choix ? Moi qui avais un emploi du temps surchargé, me voilà maintenant libre comme l’air…
Je dois vous avouer quelque chose, mon ami, avant que ça finisse mal.
Au début, comme j’étais passablement angoissé, je vous ai rédigé des lettres plutot sinistres.
L’air que je traversais transportait un virus que j’ai immédiatement attrapé et j’ai été atteint par le sentiment tragique de la vie : c’est malheureux.
Vous voudrez bien, s’il vous plait, sauter ces pages, elles risqueraient de vous contaminer aussi.
Maintenant que je chute depuis un certain temps, ça va mieux.
Extérieurement pourtant rien n’a changé : je chute toujours !
Mais intérieurement, je suis beaucoup moins enclin à chuter dans ma propre détresse. J’ai éprouvé une loi – il faudra la vérifier sur vous – « Tout change, même si apparemment rien ne change. »
On ne peut pas décidément rester dans l’angoisse de ses derniers instants, surtout quand ceux-ci durent indéfiniment. Les derniers moments peuvent durer, disons une minute ou deux avec un pic final mortel… mais lorsqu’on n’atteint pas ce pic, qu’est-ce qui se passe ?
Tout retombe, comme un soufflé froid ?

Evidemment, je sais que ça va mal finir. Personne d’ailleurs n’a jamais bien fini.
Tous les cimetières et toutes les fosses communes le montrent. Mais en attendant, je trouve finalement, ma situation plutôt drôle.
Je conçois que la trouver « drôle » ne soit pas très orthodoxe. Il faudrait, la culture chrétienne me l’indique, que dans ces derniers instants, je me recueille et avoue mes fautes.
Mais, je n’ai absolument pas envie d’avouer quoi que ce soit !
Il faudrait donc, comme la littérature athée me l’explique, que je regarde lucidement et bien en face ce trou noir de ma fin sans aucune lumière. Seulement, je n’ai pas non plus envie de cette lucidité là.
Pour mes derniers instants, envoyez-moi plutôt des histoires drôles. C’est la meilleure façon de passer le temps avant que celui-ci se termine.
Donc, dépêchez-vous !


Amicalement.
Lucco.





Un état d’inachèvement permanent.


Cher ami,

Il y a quarante ans, j’ai voulu être Buster Keaton au cinéma, mais ça n’a pas été possible.
Il y a vingt ans, j’ai voulu photographier, peindre aussi, et écrire, par-dessus le marché !
… des feuillets, des dossiers, des photos, partout !… un fatras inimaginable.
Pour le ranger, il y a dix ans, j’ai voulu construire une maison.

Pendant un an, j’ai travaillé aux fondations, mais, comme j’avais autre chose à faire par ailleurs, je n’ai pas pu les achever.
L’année suivante, j’ai voulu faire le jardin, mais, comme les mauvais jours sont venus rapidement, j’ai trouvé qu’il faisait trop froid pour travailler dehors.
J’ai laissé certains arbres dans leur pot d’origine, beaucoup ont dépéri, pendant que d’autres, déjà plantés en terre, ont poussé dans tous les sens.
Résultat : mon jardin ne ressemble à rien.

Comme certaines graines se sont introduites à l’intérieur même du plan de la maison au niveau des fondations, j’ai retrouvé l’année suivante des buissons piquants dans ma future cuisine et quelques jeunes chênes dans mon salon.
Je me suis dit alors : « Montons les murs on y verra plus clair ».
Les murs montés, j’ai trouvé que mon plan de départ était un peu petit, aussi j’ai ajouté des pièces pour que ma maison soit plus confortable.
Mais comme je n’ai pas eu le temps de finir l’ensemble des murs cette année là et que, l’année suivante je n’ai pas retrouvé le plan d’origine, je n’ai évidemment plus compris ce que je voulais faire au départ.
J’ai donc abandonné le premier projet pour en concevoir un plus ambitieux.
Dès qu’on a des projets, on a la folie des grandeurs : c’est de là que naissent les drames.
Je me suis dit : « Formidable, les murs déjà construits seront une aile de mon futur château. »
D’ailleurs, j’ai déjà reçu – par colis express – sa toiture.
Je suis réaliste. Je sais pertinemment que si je ne protège pas l’ensemble par une bonne toiture solide, je n’arriverai à rien. « Finement pensé », me direz-vous. Je vous réponds, moi : « erreur grossière ».
Aujourd’hui, j’ai une partie seulement de la toiture posée et une partie seulement des murs de mon futur château.
Pour être honnête, ce n’est en fait qu’une partie de la petite maison que je voulais construire au départ et dont le plan s’est perdu.
Aujourd’hui, lorsque je veux me rendre dans ma cuisine, je dois d’abord couper les buissons piquants qui ne cessent de l’obstruer. C’est assez agaçant, on ne s’y fait pas, même à la longue. Si vous saviez comme j’en ai assez d’être griffé en permanence par cette broussaille !
Quand je vais dans le salon regarder la télévision avec mon plateau repas, avant de pouvoir accéder à l’image se trouvant tout au fond de ma « forêt intérieure », je dois faire du slalom entre mes chênes (c’est que ça pousse un chêne en vingt ans) ensuite seulement, je peux regarder mon feuilleton préféré, tranquillement emmitouflé sous une couette avec capuche contre la pluie qui s’engouffre dans la demi toiture.

De temps en temps, j’ai le vague à l’âme devant le chantier que j’ai commencé et que, aujourd’hui, je le sais, je ne finirai jamais.
Je ne me doutais pas, avant d’avoir commencé ces travaux multiples, que ma marque de fabrique intime était « l’inachèvement provisoire » et qu’il deviendrait « permanent » par la force des choses. Aujourd’hui, c’est une certitude.
S’il y a vingt ans, je l’avais su, je n’aurais rien commencé du tout.
Cela m’aurait évité de me retrouver dans la situation pitoyable d’aujourd’hui.
Il ne faudrait jamais faire de projets. Si vous en avez un, un conseil, oubliez-le.
Le projet, dans une vie, c’est l’ennemi numéro un.
Une cause de perdition ! Combien d’hommes se sont déjà perdus corps et biens à cause de projets tentaculaires qui les ont agrippés et étouffés ! Quel danger !
Moi, personnellement, dans mon bric-à-brac, j’étouffe littéralement comme si une pieuvre me tenait des pieds à la tête.

Un exemple : je veux sortir prendre du bon temps, aller à la mer pour penser à autre chose, pour respirer enfin un autre air que celui confiné de ma maison impossible en perpétuelle voie d’achèvement.
Que pensez-vous qu’il se passe à la plage ? Le vent du large se manifeste et vocifère avec sa grosse voix, me sifflant de façon insistante : « Et tes travaux ! Et tes travaux !… »
Pour ne plus l’entendre, je fuis dans un cinéma voir n’importe quel film.
Vous ne me croirez pas, en pleine fiction, subitement un acteur se retourne vers moi, me pointe du doigt parmi la centaine de spectateurs et se penche pour me chuchoter au fond de l’oreille : « et tes travaux ! Et tes travaux » Dans ces conditions, comment voulez-vous que je prenne des vacances !

Qu’est-ce que je deviens ? Je reste tristement dans cet intérieur brouillon, ce chez moi qui n’arrive pas à s’achever et je marmonne contre ma mauvaise fortune. Quand je regarde autour, ces travaux qui sont là en permanence à la place du château qui n’est pas et ne sera jamais … j’ai le vertige.
Comment continuer mon aventure ? Aura-t-elle une issue ? En voyez-vous une vous ?
Un jour, ma femme a fini par me dire : « Mais termine ce que tu commences. Ce n’est pas si difficile que ça. » Elle m’a jetté ça, comme ça, puis elle est repartie d’un pas léger à ses affaires. Dans mon état d’enlisement, je suis resté sans voix. Je n’ai pas eu le temps de lui crier : « je voudrais bien… mais je ne peux pas ! »

Je ne sais pas s’il va me rester assez de force pour venir vous voir. Avant, j’ai un tout dernier projet : creuser ma tombe et tomber dedans, avant qu’un autre projet funeste ne s’abatte sur moi.

Bien amicalement.

Sire Lucco,
triste seigneur de son château




Je ne suis pas moi

Cher ami,

Ecoutez, j’ai des doutes sur qui je suis. Récemment j’ai eu des preuves que je n’étais pas moi.
Je m’inquiète. Je suis dans la rue et je crois marcher au hasard et en toute liberté, quand peu à peu, mes pas me guident vers un grand magasin que je déteste.
Impossible de résister, une fois que j’y suis entré, je suis mené par le bout du nez, comme par un fil .
Je veux sortir mais le fil qui me dirige est très tendu. Tendu vers un achat que je n’aurais jamais fait. Une sorbetière.
Je me retrouve en pleine rue, avec cette volumineuse sorbetière familiale sous le bras. Qu’est-ce que je vais en faire en plein hiver ? Même ma femme, qui a pourtant les idées larges, n’en voudra pas. Je vois bien que parfois je ne m’appartiens pas.
Une autre fois, sans savoir pourquoi, je vais dans une librairie.
Pourtant je m’étais promis de ne plus pénétrer du tout dans ce lieu de perdition.
Ma maison est déjà pleine à craquer de livres.
Seulement ça été plus fort que moi, au bout de dix minutes, je me suis retrouvé dans la rue avec une dizaine de livres sous le bras.
La lecture est une drogue dure. Que faire dans ces conditions ?
Ne pensez-vous pas que nous sommes rarement libres de nos actions. Nous croyons l’être, mais, en fait, le plus souvent, des fils invisibles dirigent nos existences.

J’ai demandé l’aide de ma femme : « Dis, avant que je sorte, tu ne pourrais pas, couper systématiquement tous les fils qui se trouvent tout autour de moi. »
Naturellement, pour me faire plaisir, elle a fait une coupe rase tout autour de mon enveloppe corporelle. D’ailleurs, il ne me reste plus beaucoup de cheveux… mon veston et mon pantalon ne tiennent plus que par un fil.
Elle a fait ce qu’elle a pu : elle a coupé tout ce qui était visible et très consciencieusement. Je n’aurais pas fait mieux. Seulement en sortant, j’ai compris qu’elle n’avait pas fait assez : le fil qui me tient est invisible. Il ne me suffit donc pas de couper au petit bonheur la chance. Il faut couper le bon fil.

Maintenant, à chaque fois que je sors, j’ai dans la poche de gros ciseaux.
Et dès que je me sens tiré ne serait-ce qu’un tout petit peu vers la droite ou vers la gauche dans une rue commerçante, je sors mon instrument, je fais de grands gestes et je cisaille tout ce qui bouge ou semble bouger.
Chez moi, je fais de même. Lors de réunions de famille par exemple, de nombreux fils invisibles nous relient les uns aux autres. Je me sens comme une mouche prise dans une toile d’araignée.
Avec ma mère, il y en a tellement que je ne sais plus où il faut couper.… Résultat, je blesse souvent mon entourage et aussi des étrangers dans la foule sans parvenir à me débarrasser de ces fils malheureux qui gouvernent ma vie contre moi.

Voyant la faible efficacité et la dangerosité de mes manières, j’ai décidé, plusieurs fois par semaine, d’effectuer des séances d’observations très intenses sur mon comportement intime, comportement qui, jour après jour, ne cesse de m’étonner.
Je m’enferme donc dans une chambre débarrassée de tous ses meubles (afin de ne pas les abîmer inutilement) et je demande à ma femme de ne surtout pas ouvrir la porte afin de ne pas être blessée.
Et là, dans le silence et le noir, dans le calme et la concentration je m’observe longuement pendant des heures.
Là, j’entrevois les fils qui, dans la vie quotidienne paraissent invisibles et, un à un je les coupe.
Évidemment cette opération n’est pas sans risque. Je le sais à mes dépens. Vous croyez couper un fil et vous plantez malencontreusement les ciseaux dans votre chair.
C’est ainsi que je me suis souvent blessé au sortir de ces curieuses séances. Des flots de sang pour un malheureux petit fil de rien du tout. Parfois c’est à se demander si la liberté acquise en vaut vraiment la peine.
Seulement je perçois au bout du compte que j’ai gagné en mouvements possibles dans ma vie quotidienne ce qui est tout de même, vous en conviendrez, fort appréciable.
J’ai aujourd’hui un corps pouvant s’épanouir davantage dans son espace. Si je veux, je peux faire les pieds au mur ou marcher sur la tête ou faire des sauts périlleux sans m’occuper de ces fils invisibles contraignants. D’ailleurs depuis que j’ai gagné cette nouvelle liberté de mouvement, je veux la faire partager à d’autres, mais il faut l’avouer avec des succès peu probants.

Ainsi récemment ma femme et moi, nous sommes allés voir un spectacle. Un spectacle de marionnettes. Quand j’ai vu sur scène ces pauvres créatures tenues par des fils agir comme s’ils étaient libres alors qu’ils ne l’étaient pas, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai bondi, ciseaux en main pour tous les couper.
Je pensais qu’on allait me remercier, même si ma femme m’avait averti que j’étais en train de commettre une erreur. Je pensais moi que je faisais bien. Seulement, le marionnettiste ne l’a pas entendu de cette oreille : j’ai été éjecté violemment du théâtre manu militari. Il s’en est d’ailleurs fallu d’un fil, que je passe de vie à trépas. Ma femme m’a ensuite rejoint et nous sommes rentrés silencieusement chez nous, en suivant chacun le fil de nos pensées… Je me demande si, insidieusement, elle ne me préférait pas avant.





Je me suis perdu de vue


Cher ami,

Tout en avançant, dans la difficile traversée de la vie qui est, comme vous le savez, pleines d’embûches multiples et de pièges sans nom, il m’arrive des choses inouïes : je me perds de vue et je deviens un autre que je ne connais pas. Je ne suis plus le même qu’avant – ça ne vous arrive jamais de ne pas savoir qui vous êtes? – Depuis, je me cherche partout, dans tous les recoins imaginables, pour savoir qui j’étais avant, qui je suis maintenant… tout cela change à une telle vitesse. Vous vous voyez et quand vous vous voyez de nouveau patatras vous êtes déjà un autre. Cela s’est passé sans crier gare. Vous croyez que vous vous êtes simplement égaré… Mais pas du tout… Vous avez changé de l’intérieur. C’est assez perturbant comme expérience. Vous vous endormez un tel et vous vous réveillez un autre. Au bout d’un moment, vous ne savez plus qui vous êtes. Vous allez de l’avant à votre recherche. Vous essayez d’aller vite pour ne pas vous faire devancer par vous-même.

Il faudrait toujours avoir sur soi un certain nombre de photos pour se souvenir de ce que l’on a été, afin de faire le lien entre hier et aujourd’hui. Mais si la police vous demande : « qui êtes-vous ? Vos papiers » et si avec la meilleure volonté du monde et pour répondre pleinement à la question, vous sortez, tout naturellement, de votre poche l’album de votre vie afin de laisser la police fouiller dans le fatras de vos personnalités multiples et successives… vous risquez de provoquer, malgré vous, un quiproquo fâcheux. En effet si pour vous, vous êtes déjà une énigme, alors vous pensez pour un autre, vous abordant sans rien savoir, c’est un défi impossible! Il n’est d’ailleurs pas sûr du tout que la police veuille voir de préférence votre dernière transformation. Peut-être que l’avant-dernière était plus avantageuse… Allez savoir !… Seulement étant donné que vous êtes le jouet de ces transformations : il est impossible de revenir en arrière… ou seulement par votre album photo.

Imaginez donc un policier, vous demandant naïvement vos papiers. S’il savait, il ne vous demanderait rien. Pauvre homme ! Il faut savoir qu’il existe des gens qui lors d’une vie ne connaissent pas ces problèmes d’identités fortuites et qui restent identifiables toute leur vie dès le premier regard : dès qu’ils sortent du ventre de leur mère, l’on sait qui ils sont. Par exemple, je connais hélas trop bien, et personnellement, un policier né policier. Dans le ventre de sa mère il avait déjà dressé un procès verbal contre elle. Un destin tout tracé. D’autres sont nés – je ne l’ai pas vu de mes yeux, mais je le crois sur parole - plume à la main écrivant déjà avec leur sang. Comment ceux-là peuvent-ils donc comprendre les personnalités changeantes. Même avec la meilleure volonté du monde, ils ne peuvent pas. Pour ceux qui n’ont qu’une tête depuis toujours, vous êtes, assurément, un vrai casse tête.

C’est pourquoi, vous en conviendrez, il est préférable ne pas se perdre de vue trop longtemps, sinon gare aux mauvaises surprises. Ainsi, vous pensez être plongeur des fonds marins, vous vous installez confortablement dans votre métier et déjà pousse sur votre tête à vingt mille lieux sous les mers, une casquette de pilote de ligne ! Vous devez alors, précipitamment, ranger vos accessoires –palmes tuba, bouteilles - et votre connaissance des poissons en eaux profondes pour vous hisser vers un élément inconnu : l’air, les oiseaux, les hautes altitudes, la stratosphère… Changement vertigineux ! Vous commencez à vous habituer à la cabine de pilotage que déjà vous rédigez des notes à vos collaborateurs pour une liquidation judiciaire de votre entreprise en faillite et que vous trouvez dans le tiroir personnel de votre cabine de pilotage se transformant en bureau un pistolet qui vous donne envie de vous supprimer.

Convenez que vous vous suivez mal.

Parfois, il m’est arrivé que l’on me dise : « Votre tête ne me revient pas. » Je réponds alors « Je sais, à moi non plus elle ne me revient pas. » Mon problème est que j’ai trop de têtes en stock et en devenir. Je sens donc bien que vouloir me couper la tête est impossible. Vous en couper une et immédiatement une autre repousse. Et ainsi de suite… à cause mon côté hydre. Mais il y a tout de même une bonne chose dans tout ça : l’hercule qui me tuera n’est pas encore né.

Si j’ai eu le tort de me perdre de vue depuis trop longtemps, je le sais immédiatement. Et je le sais également par les regards étonnés de mon entourage. L’avant dernière fois que je me suis reconnu j’étais devenu par un jeu de circonstances complexes, un individu très riche ayant des racines profondes dans le Vexin français. Mais hélas rien n’est fixé, tout change. La dernière fois j’étais un homme, sans même une photo sur lui, encore moins un album ; un sans papier attendant dans une zone de transit. Quelle vie !

Je vous salue sans pouvoir signer de mon nouveau nom – que je ne connais pas encore – je vous salue sans pouvoir mettre un timbre sur l’enveloppe étant donné mes poches vides.
Il paraît que j’ai déchiré mes papiers d’identité, aucun souvenir.
Seule certitude : le vent ne me les rapportera pas.


Luc Habrouck et Isabelle Guyon interprétant leur spectacle "Espace du dedans".


Statue

La statue sur la place publique, saviez-vous que c’était moi ? Je vois bien qu’il n’y a plus rien à tirer de moi lorsque je deviens une statue de pierre lointaine. Petit à petit, à force de se durcir de l’intérieur, je ne ressens plus mon corps. Je n’ai plus de bouche pour sourire ou parler, je n’ai plus d’yeux, même plus de nez pour respirer. Est-ce encore vivant un bloc de pierre ? Je me demande alors à chaque fois, combien de temps ce blocage dans le temps arrêté de la pierre peut ainsi durer. J’attends ; j’attends… ça n’en finit pas d’être ainsi dans le dur loin de tout et de tous. Exilé dans un corps devenu monstrueux à force de devenir une pierre aussi dure : du granit ! Et pourquoi donc?

Bien évidemment comme je ne suis plus dans le mouvement des êtres, plus personne ne me voit quand je suis rendu à l’état de choses parmi les choses. Seulement moi, au fond, tout au fond, de la pierre, j’ai encore une conscience d’homme que personne ne peut entendre ni même voir. Alors je suis là, au milieu des statues de la place publique, devant tous et, en même temps, totalement inaperçu sur mon piédestal. Pas un regard. Pas une compassion. Auriez-vous vous-même de la compassion pour de la pierre, même sculptée en statue ?

Lorsque je sens que je vais devenir pierre, si ma femme me demande, comme je sais que je ne vais pas pouvoir lui parler à mon aise, je m’absente. Naturellement, à force de vivre avec moi, elle n’est pas dupe. Elle sait où me trouver, même si elle ne peut rien faire : il suffit qu’elle regarde les statues du parc tout proche de mon domicile. L’une d’elles… c’est moi. Quelle patience elle a ! Elle me voit. Me fait un signe de connivence. Auquel, évidemment, dans ma position, je ne réponds pas. Puis s’en va. J’avoue que dans ma détresse de pierre, savoir qu’elle est là et qu’elle attend simplement que je redevienne un être humain mouvant, a quelque chose de très réconfortant lorsque je suis ainsi condamné à n’avoir qu’un cœur de pierre. Il y a au moins, dans cette ville, une personne charitable ne m’abandonnant pas dans mon état le plus pénible…

Quand je redeviens normal et que je vois une statue, j’ai du mal à imaginer que c’était moi. Parfois, je me demande aussi s’il n’y a pas un être humain qui se cache derrière… Un être que personne ne verrait, sauf moi évidemment à cause de l’expérience que vous savez. C’est troublant de ne pas être très sûr… C’est pourquoi quand j’entre dans un jardin public, j’ai toujours un très grand respect pour les statues cachant peut-être des hommes dans mon genre… Je conçois bien que je ne suis pas d’un genre très réconfortant.

« Viens dans mes bras ! » dit ma femme, avec une insouciance qui n’appartient qu’à elle. Mais avec quels bras voulez-vous que j’aille dans les siens ? J’ai déjà vu dans les musées tellement de statues antiques sans bras que j’ai peur qu’il m’arrive la même chose à cause des affres du temps… Vous me voyez sans tête, sans jambes et sans bras : moi réduit à un torse anonyme ! Un numéro dans un musée avec une étiquette dessus. « Trouvé lors de fouilles archéologiques dans les soubassements de l’immeuble, où croit-on savoir, a vécu un écrivain dont il ne nous reste plus rien aujourd’hui. » Et avec mon torse sans tête comment voulez-vous que je leur réponde à ces archéologues aveugles qui me triturent dans tous les sens, sans rien comprendre de mon malheur intime. Je suis la preuve de mon existence passée; je pourrais leur dire cela, si j’en avais encore la possibilité. J’ai peur des cimetières de sculptures antiques… Un monde fait d’oubli ! Vous voyez maintenant le rôle essentiel joué par ma femme : lorsque je suis à l’état de pierre, elle est encore là pour dire avec certitude… que je peux revenir d’un moment à l’autre, aussi vivant que n’importe qui… Mais il faut le dire que ce n’est pas le cas de tout le monde.
j’ai vu par exemple de malheureux artistes qui cherchait à me mimer sans imaginer les risques qu’ils prenaient. Certains, les pauvres, se sont figés à jamais dans leur numéro !


L’état de statue est un curieux monde de silence assez impénétrable. Hélas, je ne le sais que trop ! Aussi, je vous demande d’agir pour le bien de toutes les statues honteusement maltraitées par les commissaires de la culture qui sévissent dans ce pays. Lorsque vous en voyez un en activité, n’hésitez pas, sortez votre révolver et tirez. A l’avance merci.

Bien amicalement
Lucco, une statue en colère murée dans son silence.


Luc Hazebrouck au théâtre 95, pendant la fête de la résidence Gérard Noiret . Photo Dominique Chauvin.

mercredi 13 mai 2009

clefs de sols : photos et textes par Luc Hazebrouck



Travail argentique avec boitier Nikon et objectif 50mm - Photographies tirées au format 50 x70 cm, montées sur des cadres en armature métallique conçu par l'auteur pour son exposition à la galerie Rhizome, en Bourgogne, le 19 décembre 1992.


En préambule à l'exposition, l'auteur a rédigé ce texte pour présenter son travail au public.

" C’est l’été, le sud de la France. Le soleil éclabousse la terre, sature les couleurs et fait naitre en contrepoint de belles ombres chaudes.
Le marcheur se laisse stimuler par cette énergie de contraste et gagner par la subtile diversité géologique qu’il ressent là, sous ses pieds, à la fois comme une épreuve et comme une jouissance…
Entre la terre, le soleil et lui s’est établie une nouvelle circulation.

Pour preuve de ce périple, il reste des photographies. "




" Regarder le sol comme des bas reliefs naturels.
Regarder ces petits riens, ces petits bouts de ficelle, de carton, de plastique, abandonnés au hasard par les hommes.
Déjà, ces objets ne ressemblent plus à ce pour quoi ils étaient destinés. Leurs formes évoluent, s’aplatissent, se brisent, se morcellent…
La nature patiente, se charge de les transformer et de les enfouir.
La photographie va les fixer dans cette décomposition avant leur ultime disparition.

Le photographe a marché longtemps sans but. Il s’est arrêté quand ce qu’il voyait prenait la force d’une évidence, longtemps chuchotée, comme sortant du chaos.
Il a cadré et composé des paysages en suivant ses résonnances intérieures et ils sont devenus des planches d’appel pour la rêverie.
Ils ne disent rien, n’imposent pas de lecture particulière. Ce sont des surfaces de matière dans lesquelles chacun choisira son cheminement et fera sa propre description du lieu.

Au bout de la route, le photographe découvre que son errance avait bien un sens : la recherche de ces signes de piste indéchiffrables dont en fin de compte nous sommes peut être tous en quête, simplement parce qu’ils ont l’intense pouvoir de conduire notre symphonie intérieure ".


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Photographies tirées au format 50 x70 cm avec des cadres originaux s'inspirant des retables gothiques.

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documentaliste passionnée d'arts, de culture et de nature.